Autant en emporte le vin

ISBN  978-2-35593-143-7 / Format : 15 X 21 – 114 pages

15 euros TTC – Editions Pascal Galodé 2011

Écrit avec François Vignes

couv5

4 de couv

 

couv6

Presse

Sud-Ouest 20 juin 2011

Littoral 24 juin 2011

Blog Action-Suspense

Jazz Radio

Extrait

Merde !

C’est toujours la même chose, on croit revenir, on trimbale ses souvenirs et toutes les images qui nous ont hantés pendant des lustres, et quand on approche, quand l’horizon s’élargit, on ne connaît plus rien.

J’avais atteint Marennes, voir le clocher du bourg avait plus emballé mon palpitant que la dernière femme se pâmant à travers l’objectif de mon appareil.

Il avait fallu se rendre à l’évidence; le compte n’y était pas. Tout un tas d’immondices avait poussé sur le bord de la route. À la place des champs, c’était la zone commerciale, son Mac Do, son Buffalo Gril, son Lidl. Tout ce que je détestais en ville et croyais bien avoir laissé derrière moi à la sortie de l’autoroute, du côté de Saintes.

Je roulais au pas, un regard à droite, un regard à gauche, et cette boule dans la gorge qui allait finir par m’étouffer. Une file de voitures et mon vieux van ouvrant la marche, ça devait enrager derrière les pare-brises mais je m’en foutais royalement, si la situation n’avait pas était si dramatique, j’aurais pris du plaisir à voir tous ces cons m’insulter. En vérité, j’avais peur d’atteindre le pont et de constater un désastre semblable de l’autre côté de la mer.

Et puis, comme ça, presque sans crier gare, les petites cabanes des ostréiculteurs sur le bord de la route, les claires : bassins rectangulaires où l’on affine les huîtres… Et de suite après le viaduc.

J’ai poussé un immense soupir, le garrot s’est aussitôt desserré. La mer, marée haute, eau turquoise et dessus des dizaines de traînées blanches que je connaissais par cœur. Rien que de les revoir j’ai failli m’arrêter sur le pont, histoire d’emmerder mes poursuivants. Ils m’auraient certainement lapidé ou passé par-dessus bord et ça n’aurait pas même altéré le sourire qui fendait ma goule, comme on dit ici.

Les pontons s’en donnaient à cœur joie, embarcations plates, légères, le plus souvent en aluminium, dotées d’un énorme moteur hors-bord. Ils descendaient la Seudre, à vide pour aller travailler sur les parcs à huîtres qui sont partout sur la côte Est de l’île d’Oléron, entre Boyardville et Le Château. Le fort du Chapus en demi-lune était là, au milieu de l’eau avec sa pierre blanche, sa tour et ses créneaux. En face, sur la droite, je distinguais le bourg du Château et la citadelle, un phare aussi. Les vieux embarcadères abandonnés depuis les années soixante étaient encore à flot, menaçant ruines.

Je survolais ça dans un rare état de bonheur, c’était le reste de ma vie entre parenthèses et pour un peu j’allais me retrouver en culottes courtes sur le spot de Vert-Bois attendant patiemment les vagues, hiver comme été.

J’ai jeté un regard par-dessus mon épaule, dans le fond du van ma vieille planche était toujours là après tant d’années. Merde, j’en avais les yeux humides, et c’était pas le genre de la maison.

Les trois kilomètres du pont ont filé, je rentrais chez moi, aussi largué que ces vieux qui retombent en enfance. J’avais l’adresse de Maria dans une poche de ma veste kaki, mais j’ai su que je n’irais pas… pas encore.

J’ai abordé l’île. J’ai dû rouler une dizaine de kilomètres sur la départementale en reconnaissant presque tout à deux ou trois verrues près. J’ai vu le panneau sur la gauche, de toute façon, je connaissais la route. Après le hameau, je suis entré dans le bois de chênes verts et, au bout, je me suis garé.

Je n’étais pas seul, mais la fin de l’après-midi aidant, les visiteurs étaient en ordre clairsemé. En face, c’était l’océan, bien plus proche que dans mes souvenirs, et les blockhaus tagués, les pieds dans l’eau. La mer avait avalé une partie de l’île.

Des rouleaux superbes à cinquante mètres, des tubes à faire bander le plus mauvais des surfeurs que je devais être devenu. J’en prenais plein les poumons, l’iode, les embruns, le cul sur le sable, sans avoir l’idée d’aller me foutre à l’eau, ou de prendre ma planche. Non ! Pas question de se confronter à une réalité trop brutale, la même que j’essayais d’éviter tous les matins en rasant mes poils durs et gris.

Non pas encore.