Du 26 janvier au 11 février
Être malade du Covid cinq jours après avoir reçu la troisième dose de vaccin, faut être pervers. Et ça a fini par arriver, l’autotest a dessiné deux belles barres rouges. Le test en pharmacie que je craignais s’est déroulé en douceur. Je n’avais pas atteint la voiture pour rentrer que la pharmacienne me rattrapait pour confirmer que j’étais positif. Une semaine d’arrêt. J’ai passé la journée à ne rien faire, perturbé par ce confinement de sept jours tandis que tous les autres se débrouillent comme ils peuvent au collège. Trop fatigué par la toux pour me concentrer sur un livre, j’ai attendu le soir.
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Ma mauvaise toux s’est calmée. Même si je ne me sens pas bien vaillant j’ai vu un documentaire consacré à William Burroughs, étrange icône déjantée de la Beat Generation. Dans le style radical je me sens plus d’affinité avec Beckett qu’avec le cocktail d’armes et de came de Burroughs, même si je reconnais un génie en Allan Ginsberg écrivant Howl ou Kaddish et si j’ai de l’affection pour les dérives saoulographiques et géographiques d’un Kérouac à travers l’Amérique.
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Froid intense. Pas si facile de gérer la période d’isolement, les heures passent lentement, on a du mal à savoir les occuper. On gère tant bien que mal les problèmes administratifs, tout passe par internet et bien entendu les sites sont en maintenance ou hors d’usage. Et pendant que l’on assiste à un concert de louanges bien orchestré à la gloire de la politique du roi de plus en plus soleil, je file dans mes lectures, je reprends mon cher Margat à la recherche de cette sagesse personnelle qui lui était venue à la fin de sa vie. Mais lui aussi parfois se trouvait confronté à l’impossibilité de créer.
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L’immobilité commence à me peser. Ne pas sortir, ne plus marcher, ne pas aller jusqu’à la mer. Je reste à lire, à suivre les pérégrinations de Claude dans le Guangxi. Je ne peux rien faire d’autre. Et puis, je trouve l’univers sonore dont j’ai besoin chez Mark Hollis que je n’avais pas écouté depuis des lustres, Spirit of Eden et Laugthing Stock n’ont pas perdu un iota de leur puissance évocatrice. En général, j’écris sans musique mais là j’ai envie d’installer un univers mental à la fois visuel et sonore pour des textes dont je ne sais rien.
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La mort du photographe René Robert il y a quelques jours dans le dixième arrondissement de Paris me hante. Il est neuf heures du soir, au niveau du 89 de la rue de Turbigo, il fait une chute ou bien il est pris d’un malaise, il tombe de tout son long sur le trottoir, il est conscient mais ne peut ni se relever ni visiblement appeler à l’aide. Personne ne va venir à son secours. Il est bien habillé, il ne ressemble pas à un clochard. Personne ne s’arrête. Neuf heures plus tard, un sdf va se pencher sur lui et prévenir les secours. Il est trop tard, René Robert, 85 ans, qui aimait la passion et le flamenco, meurt d’hypothermie dans l’indifférence.
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Claude écrit ceci : Ce que l’œil perd de vue, l’oreille le retrouve en écoutant bruire le silence de la source4. Comment donner à un paysage l’extension de ses encres, ? comment par la musique des mots rendre quelque chose d’une profondeur de champ illimité. Souvent je cherche dans l’image panoramique l’indice dérisoire d’un passage où se perdre, mais rien de comparable à tes grands rouleaux où le regard peut errer en se détachant de toutes les contingences du réel. Je voudrais écrire comme tu as peint.
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Retour au bureau après la parenthèse Covid, Une semaine entière sans sortir de la maison, juste lire, prendre quelques notes, imaginer le travail à venir que je veux débuter au plus tôt. Arrivée au collège, toujours la même panique depuis presque un mois, à 9 heures du matin déjà 75 absents parmi les élèves, des cas positifs à la pelle, qui font des cas contacts de partout. À la vérité on ne maîtrise rien, on reste seulement ouvert pour que le ministre s’enorgueillisse. Mais dans cette pièce en cinq actes, tous sont épuisés.
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À présent, un peu avant huit heures, la route des huîtres commence à s’éclaircir. C’est encore timide, à peine une clarté distingue le ciel du sol. Une ligne rose que souligne les lumières des villes et villages du continent. Du Covid me restent la toux et la fatigue. Pierre s’en va ce matin après dix jours à la maison, on ne sait quand reviendra. C’est devenu rare de l’avoir pour nous seuls, c’est aussi à ça qu’on sent le passage des ans et c’est injuste parce que le souci que l’on a pour ses enfants reste toujours identique à celui qu’on avait quand ils partageaient notre vie 24 heures sur 24.
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Il est question de la fin du pass vaccinal, et peut-être avant juillet, mais tant de fois déjà on a eu l’espoir d’en finir avec cette épreuve, tant de fois j’ai cru arriver au terme de ces notes… en vain. Quand j’en aurais fini, quel regard désabusé je pourrai porter sur cette histoire écrite presque au jour le jour. Qui sait si ça ne vaudra pas la peine de réunir toutes ces notes en un seul livre, un passage de témoin.
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Parcouru seul la forêt de l’Ecuissière, le silence y était total, pas un bruit de feuille, pas un cri d’oiseau ni même un départ dans les fougères, et les fougères grillées, d’une teinte entre or et rouille, presque cuivrées. Aucune pousse nouvellement apparue, des branches cassées au sol. En approchant Vert-Bois, l’inévitable bruit d’une tronçonneuse, puis, plus engageant, celui du ressac quand je reviens parmi les yeuses. J’avais besoin de ce retour solitaire en forêt. C’est un lieu pour penser et méditer au fil de la marche et je serai toujours un écrivain-marcheur, j’aimerai toujours nos longues échappées main dans la main.
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Soirée au cinéma, d’abord l’inauguration de l’exposition de Pascal Audin, j’ai retrouvé ses couleurs même si le cadre de la maison de Gençay magnifiait les œuvres, l’écrin lui-même étant une œuvre. J’ai pu discuter avec Pascal et Jean-Louis Dubois-Chabert qui lui a consacré le film De la couleur sur les plaies. J’ai toujours la même certitude de toucher à l’essentiel quand je côtoie l’art brut, aucun calcul, aucun faux-semblant, seulement l’homme et l’art.
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Insomnie encore. J’ai tourné sur moi-même une partie de la nuit. De vagues pensées m’arrivaient par vagues et ne s’accrochaient pas. Mais quelle heure peut-il être ? Parfois ce sont les idées noires qui empêchent le sommeil, parfois il n’y a rien, seulement l’impossibilité de trouver le chemin . Souvent, c’est le dimanche soir.
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Le brouillard ne semble pas vouloir se lever, la cour est livrée aux fantômes. La toux qui m’était venue avant la Covid s’accroche à ma gorge, impossible de lui faire lâcher prise. Les vacances d’hiver s’annoncent et chacun rêve de sortir de cette période épuisante que l’on aura subie six semaines durant. À la floraison des mimosas, au sol qui reverdit, aux oiseaux qui sont nombreux à chanter le matin, on sent poindre l’amorce du printemps. Je n’ai pas d’excuse pour retarder un travail trop longtemps différé..
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Fin mars début avril. Voilà donc l’échéance pour en finir si tout va bien avec le pass et peut-être même avec l’épidémie. L’échéance n’est pas choisi au hasard, quelques jours avant le premier tour de l’élection histoire que le roi de laurier soit couronné dans l’allégresse et la liberté retrouvées. J’ai un peu de mal à voir plus loin que demain 17 heures, prise de vacances, nos deux semaines de repos.
Ne fixe pas la route ; suis-la. Mais la suivre comment, et jusqu’où ? La suivre comme ceux qui viennent de la ville ou s’y rendent, comme ceux qui partent et ceux qui rentrent, comme ceux qui viennent acheter et vendre, comme ceux qui viennent voir et entendre, ou comme ceux qui s’en vont, fatigués d’entendre et de voir ? Comme lesquels de ceux-là ? ou comme quoi de commun à eux tous ? ou de quelle autre manière différente de celle d’eux tous ?6
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1Où allons-nous, Walt Whitman ? Les portes ferment dans une heure. De quel côté ta barbe pointe-t-elle ce soir ? Allen Ginsberg, Howl.
2Claude Margat, Poussière du Guangxi.
3idem
4ibidem
5Witold Gombrowicz, Journal.
6Fernando Pessoa, Le pèlerin.